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Live-Report
Festival Supersounds : Esben and the Witch, Get Your Gun, The Fawn, Ventura

29 avril 2015
Rédigé par François Freundlich

Le festival Supersounds a 18 ans et cela se fête, puisqu’il peut désormais boire des bières en toute quiétude. En fait de quiétude, on aura plutôt des décibels à haute dose et en fait de bières, elles étaient déjà diluées dans son biberon. Hiéro Colmar s’associe donc cette année avec le SAS (Son Altesse Sérénissime), des amis programmateurs suisses, pour organiser cette édition réunissant des groupes alternatifs parmi les plus en vue, comme Esben and the Witch ou Owen Pallett, dans les deux salles du Grillen de Colmar. Nous sommes sortis de ces deux soirées les oreilles requinquées et nous voilà prêts à tout vous raconter.

C’est par un beau soleil couchant que nous arrivons devant le Grillen où des Anglais, Suisses ou Danois échangent en absorbant les derniers rayons. Nous entrons dans cette petite salle qui sent le neuf et où aura lieu le premier concert, celui des Suisses de Ventura. Le quatuor lance la soirée sans fébrilité aucune puisque leurs amples guitares se déchaînent lourdement sur des assauts grunge doublés par la voix éraillée d’un chanteur au spleen perturbant. Une certaine mélancolie ressort de leurs compositions débutant parfois au ralenti avant de s’exciter dans des crescendos atteignant des sommets volumiques terrifiants. Ventura s’aventure parfois sur des terrains explorés dans les 90’s par Jay Mascis et son Dinosaur Jr. La lourde saturation peut prendre un virage noisy sur certains titres qui montrent les crocs, ce qui les rapprochera scéniquement de notre Colonie de Vacances bien connue. La Ventura, c’est l’acide que je share avec toi.

Les Helvètes parlent aux Hélvètes puisque The Fawn est le second groupe ayant traversé les Alpes pour se produire dans la grande salle du Grillen. Il ne faudra pas moins de sept membres pour faire exploser leur électro-pop expérimentale, même si certains d’entre eux se sont parfois ennuyés sur certains passages plus calmes. On est immédiatement surpris par les déhanchés d’un chanteur débutant en français dans le texte, puis en anglais, mais dont la voix sera vite couverte par la marée de décibels. Il semble comme possédé par des mouvements de chaman en transe sur de longs développements mêlant excitations électriques et beats électro dansants. Mais le côté rock écorché prédomine sur ces titres menés par Nathan Bauman, chef d’orchestre de ce collectif aux multiples facettes. La prestation se terminera sur une jubilation électro-bruitiste de près de dix minutes toutes guitares dehors avec un chanteur monté sur ressort comme un pantin désarticulé. The Fawn aura livré un set aussi cérébral que défouloir.

En revenant dans l’autre salle, nous croisons trois gaillards qui n’auraient pas détonné dans la fameuse série Vikings. Un petit regard vers le haut et nous attendons sagement leur retour. Le trio danois de Get Your Gun va nous pousser dans des recoins de plus en plus sombres avec leur stoner blues transpercé par la voix rauque et profonde d’un chanteur barbu chapeauté rappelant tantôt Nick Cave ou David Sylvian. Nous distinguons leurs silhouettes aussi inquiétantes que leurs riffs ténébreux se disloquant lentement, comme si Queens of the Stone Age s’était mis au slow motion. Get Your Gun va livrer l’un des sets les plus hypnotiques du festival en nous faisant remuer furieusement la tête. Une certaine fragilité ressort de leurs compositions plus atmosphériques, s’étendant dans la langueur des icebergs qu’ils venaient à peine de fracasser. Le souffle de Get Your Gun prend ici tout son sens, lorsque le jeu est calmé, les guitares caressées et la voix plaintive. On a eu un peu peur mais on était bien là pour ça, non ?

Nous attendons finalement et fébrilement la tête d’affiche de la soirée, les Anglais de Esben and the Witch, qui vont apporter une touche de féminité après le trop-plein de testostérone de cette soirée. Le trio de Brighton fait parler ses déviances électriques darkwave, accompagnant la voix monocorde de la petite sorcière Rachel Davies qui fait vibrer sa basse frénétiquement dans une lenteur enveloppante. Si on avait connu les Esben and the Witch bien plus énervés il y a quelques années, ils ont gagné en intensité en se concentrant sur le manteau pop que peut revêtir certaines de leurs compositions où la voix rappelant parfois Hope Sandoval (Mazzy Star) parvient à allier ferveur et fragilité. Ses égarements dans des aigus délicats et maîtrisés sont interrompus par des explosions électriques et rythmiques comme sur la jouissive No Dog. Le moment de grâce de la soirée restera cette ballade hors du temps qu’est The Fall of Glorieta Mountain, où toute la candeur de la voix de Rachel s’évapore dans de délicieux échos brumeux. Comment ne pas tomber immédiatement sous son charme à ce moment précis ? Un rappel plus tard, nous sommes convaincus que ce groupe peut s'envoler très haut dans les prochaines années.

Les groupes s’étaient peut être donné le mot pour jouer leur set le plus rock pour cette première soirée du festival Supersounds faisant la part belle aux barbus en tout genre. Ils se sont certainement adaptés à une soirée qui s’annonçait électrisante et qui a tenu ses promesses.