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Live-Report
Amen Dunes - L'Espace B

10 juin 2014
Rédigé par Emilie Quentin

Ce soir, l’Espace B accueille Michelle Blades, Quetzal Snakes et Amen Dunes, un plateau franco-américain éclectique invité par Radio Campus et réuni sous le signe du psyché. Loin de l’esthétique de ses débuts, cette accolade devenue binôme d’une multitude de styles, trouve aujourd’hui un nouveau souffle dans une époque nostalgique des 60’s. Le revival psychédélique fait rêver, vintage, il est revenu bankable. Ici, il n’est qu’un prétexte et tend principalement vers l’évolution stylistique d’un univers esthétiquement libre, n’ayant pour carcans que l’onirisme et l’hypnotisme.

Dans la pénombre d’un unique spot rouge sang, Michelle Blades monte sur scène accompagnée de ses trois acolytes. Avec un léger accent du sud que ses origines n’expliquent pas (née au Panama, elle a grandi aux États-Unis), elle lance « On vient de Bagnolet ! ». De quoi faire retomber l’exotisme un instant. C’est pourtant dans un univers luxuriant que nous sommes presque immédiatement plongés. Les compositions ne se ressemblent pas, elles sont d’ailleurs indistinctes les unes des autres tant la construction des morceaux est mouvante. Tantôt vibrante, caressante et mélodieuse, la voix se métamorphose en un instrument monocorde lors de phases post-punk, no-fi et violentes à la Super Wild Horses. On finira malheureusement un peu perdus dans ce medley fait de vibrations blues, de reverbs pop et d’envolées post-punk où s’alternent à grande vitesse berceuses et explosions instrumentales expérimentales. Étourdis, on se dit que les qualités vocales de Michelle offrent pourtant un panel de possibilités que l’on n’aura pas manqué de remarquer. Cette frêle jeune fille aura pris sa revanche en nous prouvant que sa patte de velours se cache dans un gant de cuir clouté.
La salle est quasi pleine lorsqu’arrive le tour des Marseillais de Quetzal Snakes. L’intro du premier titre annonce immédiatement la couleur : les trois guitares calées sur la batterie donnent dans un rock psyché-progressif aux confins du cosmique. La voix a beau chercher à hurler, elle reste inévitablement voilée par les riffs et les effets du trio dont on se délecte. Sa monotonie fait le lien entre les cordes, en embrassant les mouvements punk et shoegaze. Yeux fermés et bouches ouvertes, l’état de masturbation musicale dans lequel ces garçons se mettent s’achèvera dans une transe animale. Tous perdront la raison, finissant terrassés comme sous l’effet de quelques substances. L’Acronyme de l’EP qu’ils sont venus défendre ce soir-là, Lovely Sort of Death, aura pris tout son sens.
Lorsqu’arrive la tête d’affiche, il est presque 23h, la salle s’est complètement remplie et les premiers rangs sont agglutinés sur le bord de scène. Le trio prend place et tous scrutent Damon McMahon. Son look normcore et sa coupe de surfer sur le retour rappelleront sans doute à certains un mono de colo à la cool rencontré un été dans les 90’s. À la guitare électrique, Jordi Wheeler affiche un tee-shirt message « Possession », annonciateur de ce qui se tramera pendant près d’une heure. Quelques titres suffiront pour voir dans la foule la transe opérer : les têtes, les bassins ondulent et les yeux se ferment pour mieux se perdre dans ces grands espaces américains où l’on chevauche léger à la tombée de la nuit. Encerclé par les morceaux issus de son précédent opus, c’est avec douceur, comme calfeutré entre les parenthèses d’une époque plus noire, qu’Amen Dunes présente un échantillon de Love. I Know Myself annonce la maturité atteinte avec ce dernier chapitre. On se surprendra à rêver de l’avoir pour père, écoutant cette berceuse au coin du feu et cette voix de chamane qui roucoule prendre la forme d’un sortilège vaudou. On retiendra également les très réussis Rocket Flare et Lonely Richard, qui, à eux deux, résument parfaitement le mysticisme de cette cérémonie d’intronisation. Si la technique vocale est un brin étrange (yeux plissés et bouche grimaçante pincée dans un rictus), la voix, parfois plaintive, limite chevrotante ou nasillarde, se pose pourtant exactement là où il faut. Avec son air de ne pas y toucher, Damon ensorcellera une salle suspendue à ses lèvres. Accompagnées par des rythmes de batterie étouffés, les guitares s’entrelacent, se répondent et se perdent entre slides et reverbs chimériques. La nouvelle équipe peut se targuer d’avoir donné de l’ampleur et des couleurs à des compositions qui ont aujourd’hui la saveur d’un savant mélange entre Kurt Vile et Fleet Foxes. Malgré l’affluence de ce concert complet, Amen Dunes aura offert un instant intimiste et un univers folk psyché sobre, harmonieux et envoutant. Rien n'est en trop et rien ne manque, une belle preuve d’amour qu’on n’oubliera pas si vite.