Webzine indépendant et tendancieux

Chronique de disque
Björk - Vulnicura

26 janvier 2015
Rédigé par François Freundlich


 

Björk - Vulnicura

Sortie le 23 janvier 2015

Note : 5/5




Le cerveau de ceux qui érigent l’Islande comme leur paradis sur Terre tilte immédiatement lorsqu’ils entendent les mots Sigur Rós, múm ou Sin Fang. Il double-tilte lorsqu’il entend le mot Björk. Tout commença un mercredi de janvier lorsque l’Islandaise laissait une note manuscrite sur les réseaux sociaux, précisant qu’un nouvel album sortirait en mars. Quelques jours plus tard, l’album est finalement annoncé comme disponible immédiatement. Une fuite sur les réseaux pirates a poussé le label et l’artiste à réagir en le proposant à la vente sur la plate-forme la plus utilisée, reléguant ses concurrents et les aficionados du format physique à ronger leur frein. Nous voilà finalement un beau soir de janvier à écouter Vulnicura, l’album prématuré de la dark danseuse.

Tout commence par la clarté des violons. L’entrée en matière est riche en émotion et nous fait immédiatement frissonner. Björk revient à une certaine naturalité classique après un dernier album plus électronique, il pourrait être son pendant organique, symbolisant une certaine universalité. Vulnicura semble au premier abord pouvoir se jouer dans un opéra avec un orchestre au complet et la petite sirène de Reykjavik en chef d’orchestre. Sur les deux premiers titres, les violons ne semblent que l’accompagner, l’envelopper comme dans le fabuleux clip de Mutual Core sur son album Biophilia. Mais au fil de son évolution, on se rend compte que ce disque est un combat permanent entre les déliés gracieux des cordes et la fureur envahissante des machines. Les deux sont mis en balance par la voix bienveillante jouant un rôle central. Les violons accrochés à la voix tentent de résister sur sa première moitié, mais les instrumentaux prennent finalement une place prépondérante. Björk est enfermée entre ces deux éléments et crie dans un écho glacé semblant l’emporter vers la folie. Cette voix n’a rien perdu de son intensité et de sa candeur après cette fameuse opération des cordes vocales qui l’a poussée à annuler sa dernière tournée. L’organe est plus que jamais mis en avant avec cet accent islandais irrésistible. Björk semble exploser comme un geyser sur chaque syllabe, accompagnée de vrombissements sourds.

Puis vient la rupture avec Black Lake, ce titre marathon de dix minutes. Les cordes semblent s’étirer à l’infini dans une torpeur mélancolique, s’écoulant comme une lave visqueuse. La voix est emplie d’un spleen qui nous attrape comme un point de côté ; elle doit s’envoler de plus en plus pour se faire entendre face au chaos instrumental. Marquant mais aussi angoissant avec ses cordes grinçantes, le morceau s’étire dans une éternité cataclysmique. À chaque instrumental où l’on se dit que l’on n’en ressortira pas indemne, la voix de Björk reprend courage pour continuer à marteler ses textes. Le disque semble sombrer dans des abîmes de plus en plus profonds avec ces coups de pioche dans la glace répondant à d’éphémères acouphènes. L’électro minimaliste des producteurs Arca et The Haxan Cloak prend le dessus : la face cachée de l’iceberg, sombre et inconnue, semble accueillir une chanteuse seule dans ses échos surdimensionnés. La barque chavire sur Family : la voix s’y dédouble, triple, quadruple en appelant au secours. All is full of Love y est évoquée sur la fin, comme si toute solution s’y trouvait. Les nappes venteuses emportent Atom Dance vers une stratosphère différente, celle habitée par l’ange Antony Hegarty (Antony and the Johnsons) et sa voix de castrat, se liant parfaitement à celle de Björk. On a l’impression d’être accroché à un ballon d’hélium qui s’élèverait au ralenti sur Saturne. Si les atomes pouvaient danser, ils le feraient sur ce morceau.

Cet album semble puiser son origine dans une pureté brute pour se diriger lentement vers le bouillon d’énergie originelle, avec une mélodie de moins en moins perceptible. Tout devient confus, insaisissable, bien trop fourmillant pour un cerveau de capacité normale. Tout se croise, s’entremêle, les atomes instrumentaux se percutent en orbite autour du noyau Björk comme si la bande originale de Gravity et Insterstellar s’interposait au milieu du Voyage dans la Lune. On ne ressort pas indemne de cet album, n’espérez pas pouvoir l’écouter en continuant normalement une autre activité, votre attention sera mise à rude épreuve. Tout semble se tenir mais peut également lâcher à tout instant.

Et Björk est toujours là-haut, tout là-haut.