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Live-Report
Etienne Jaumet fait sa Release Party

12 janvier 2015
Rédigé par Emilie Quentin

Avec une des dernières cases de 2014, j’aurai attendu le jeudi 18 décembre pour pousser la porte de cette institution parisienne qu’est le New Morning, salle jusqu’alors fermement ancrée dans mon esprit comme un club de jazz à papa. J’avais pourtant vu le vent se lever. Une brèche s’était ouverte sur leur programmation quelques mois plus tôt à l’annonce du live de Sinkane, merveille hybride soul, jazz et afrobeat. Le doux mais non moins douloureux souvenir de son concert au Point Éphémère en 2013 (où nous étions quinze, peut-être vingt) m’avait fait réfléchir. Manquait-il un maillon au réseau des salles parisiennes, un lieu, un écrin capable de faire la lumière sur les pépites inclassables de la scène indé ? Pour peu qu’il existe une affiliation aux sonorités mères, le New Morning semble aujourd’hui sur le pied de guerre. La release party d’Étienne Jaumet, venu défendre La visite, en est une autre preuve.

 

On confie l’ouverture à Clemens Hourrière et Jonathan Fitoussi, qui me sont totalement inconnus. Je cherche à écouter leurs productions en amont mais je reste bredouille. On attise ma curiosité, m’expliquant que cette première partie est intéressante parce qu’inédite avant de me laisser avec un simple « C’est sublime ». Une heure d’attente et une pinte à 9 euros plus tard, le duo prend place. Jonathan côté cour et Clemens côté jardin, seuls deux murets de boîtes à rythmes, séquenceurs, synthétiseurs et autres contrôleurs séparent les jeunes hommes qui se font face. Les yeux impassiblement rivés sur les touches et boutons, le couple forme un cerveau à deux têtes. En trente minutes, ils produisent une trilogie expérimentale d’une électro minimale répétitive qui n’est pas sans rappeler la formation allemande Tangerine Dream. Les variations thématiques orchestrent progressivement cette séance sous hypnose qui nous guide de la méditation aux portes de l’exaltation. Une performance déroutante mais séduisante qui laisse le public enthousiasmé.

 

Hipsters barbus, clubbeurs pointus, perchés dans les 70’s, 80’s et 90’s, ceux venus ce soir-là ont entre 20 et 75 ans. Un public branché et une mixité à l’image d’un Jaumet touche-à-tout, électron libre de la scène indé, formé au métier d’ingé son, rentré par la porte du jazz avec un sax et tombé amoureux des machines en cours de route. Sa culture plutôt rock, son respect pour l’école méconnue du psychédélisme (il cite le travail de Gilbert Artman’s Lard Free dans les années 70, aussi père fondateur du big band Urban Sax) et l’effervescence de ses rencontres et collaborations (Zombie Zombie, Carl Craig et Acid Arab notamment) ont jalonné son parcours. Étienne Jaumet est pluriel, difficilement saisissable et sacrément bon. Lancée un peu par hasard, la carrière solo de ce petit bonhomme à lunettes au fort capital sympathie amorce son décollage en 2009 avec le LP Night Music. Et me voilà donc face à lui pour la première représentation live de son second opus, celui où il fait (enfin) entendre sa voix. Vocodée, aux paroles improvisées, ou narrative pour le titre phare écrit par Flop, cette voix si claire en version studio perd ici de sa superbe. Elle est ténue, absorbée par d’autres fréquences ou masquée par l’essoufflement de transitions un peu raides entre chant et saxo. Pour autant, La Visite évidemment visée, transporte la fosse et ne semble décevoir que moi. Mes attentes vont pourtant être satisfaites, ailleurs. Je me réjouis d’abord de le voir concocter sa petite cuisine. Bien installé aux commandes de son installation en U, il jongle entre électronique et acoustique, faisant ses réglages avec aux lèvres un sourire un peu fou pour un adulte, spontané comme un enfant. Il batifole, reproduisant des compositions toutes enregistrées en un après-midi, joue quatre notes au synthé, coince une touche avec un câble et s’amuse à nous surprendre avec l’entrée de ses boîtes à rythmes (dont les basses font aussi danser la porte des toilettes). La palette de gros beats qu’il emprunte à la techno ou à la house intègre aussi ce que l’on perçoit comme des percusetie de majorettes ou des tam-tam de l’Afrique. Je pense au travail de Discodeine sur Swimmer. Du clubbing donc, mais pas seulement. Les sonorités de ce saxophone alto magnétique, léger écho et vibrato, se muent en shehnai sur un fond de couleur modale pour me plonger dans quelques réminiscences indiennes. La route des temples, couleurs, chaleur, odeurs envoûtantes, tout y est et plus encore. Cette évidence matérialisée par le contexte du live fait de ce voyage un fil rouge, une visite extracorporelle, un état modifié de conscience. La salle est sous l’emprise de ce charmeur de serpents 2.0 et vibre mi-captivée mi-emportée dans une transe méditative. Mystique Jaumet. Merci Étienne.

(NDLR : On notera dans son agenda (voire on prendra sa place immédiatement) le prochain concert d'Étienne Jaumet lors de la seconde soirée Gonzaï de l'année à La Maroquinerie le 28 février avec Harald Grosskopf et Cercueil en ciné-concert sur Eraserhead de D. Lynch.)