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Live-Report
Jacco Gardner + Orval Carlos Sibelius à La Laiterie

12 février 2014
Rédigé par François Freundlich

Jacco Gardner + Orval Carlos Sibelius
La Laiterie, 8 février 2014



La pop psychédélique a récemment connu un retour de manivelle tonitruant avec un renouveau digne des mentors The Byrds ou Can. Pour prendre la relève des MGMT et autres Tame Impala, deux albums emplis de très bonnes compositions ont marqué 2013 : Cabinet of Curiosities du Hollandais Jacco Gardner et Super Forma du Parisien Orval Carlos Sibelius. Les deux étaient réunis pour une tournée française qui s’achevait ce soir à La Laiterie.

Notre dernier live-report était celui d’un Bolivien qui jouait au Français (David Lemaitre), nous voilà devant un Français qui joue au Brésilien avec son patronyme et ses titres de chansons en portugais. Axel Monneau, alias Orval Carlos Sibelius, entre en scène en plaisantant sur le calme solennel légendaire d’un public alsacien décidément très respectueux et à l’écoute. Les guitares se perdent alors en réverbération alors que l’orgue se fait cotonneux lorsqu’Axel s’approche du micro pour distancer une voix juvénile, lointaine et légèrement robotisée. Ses yeux de chat sont grands ouverts, nous hypnotisant autant du regard que du son. Le bémol du concert sera ce trombone à coulisse bien trop présent qui surplombe, ou plombe tout court, certains passages dont toutes les nuances seront masquées par ce cuivre envahissant. Les compositions d’Orval Carlos Sibelius s’égrainent tout en subtilité, mais la puissance subite du trombone nous extrait subitement de la galaxie kaléidoscopique de la même couleur que la chemise du chanteur, dans laquelle nous nous perdions lors de longues percées instrumentales. Le concert prendra une tournure inhabituelle lorsque Axel cassera une corde de sa guitare bleue, l’obligeant à jouer tout le set avec sa guitare orange en expliquant qu’elle est l’instrument avec lequel il a débuté. Celui-ci lui donnera l'impression de retrouver une ancienne conquête jalouse qui prend sa revanche. Les sonorités en seront plus fougueuses, le rock crado revient alors à la charge, basculant quelque peu la pop mycologique du single Desintegraçao. La voix de la claviériste se mélange idéalement avec celle du chanteur, apportant une fraîcheur dans ces compositions excessivement riches. L’un des musiciens de Jacco Gardner, vêtu d’un magnifique t-shirt Freddy Mercury, viendra finalement accompagner le groupe de quelques percussions pour invoquer l’esprit du légendaire moustachu. La jolie et entêtante I Don’t Want a Baby, extrait de son précédent album Recovery Tapes, terminera la prestation et nous secouera allègrement la tête avec son refrain répété à tue-tête. Orval in the sky with diamonds.

C’est au tour du Hollandais volant Jacco Gardner, caché sous son chapeau et derrière ses cheveux, de nous provoquer quelques hallucinations collectives. Debout juste à nos côtés pendant le premier concert, c’est assis devant son clavier qu’il débute son set avec un tempo bien plus calme que son prédécesseur. Les ouvertures des morceaux en simple guitare acoustique / voix habillent les compositions d’une tessiture tournée vers une folk déglinguée. La guitare est sèche, mais les accords joués dévient vers un Dark Side of Jacco rappelant autant Pink Floyd que The Kinks. La voix synthétisée et monocorde se mêle aux chœurs de ses acolytes avant que de longs ponts instrumentaux psychédéliques prennent le dessus. Les deux synthétiseurs se mélangent pour inverser en permanence les pôles de chaque composition comme des miroirs prismatiques. Lorsque Jacco Gardner s’assoit devant son clavier, on sait que l’on risque de filer droit vers Uranus (« get it ? your anus ? »). Son single Clear The Air ne fera que confirmer cette impression, toujours à la frontière entre la twee pop bien sage et la ceinture d’astéroïdes que le groupe franchit allègrement aussi souvent que possible. Mais lorsque le chanteur se lève et se saisit de sa guitare, nous retrouvons des bases électriques de rock effréné, d’autant plus lorsque le batteur fou au chapeau de paille s’excite sur son instrument sans faire semblant de tirer la couverture à lui. Ce barbu attirera notre attention plus d’une fois. Lou Reed était dans les parages avec la Velvetienne The Ballad of Little Jane. Le groupe s’excitera pour un long passage instrumental déstructuré de quasi dix minutes entre batterie fiévreuse, guitares énervées et synthés remuants. Pour calmer le jeu, la délicieuse ballade The End of August nous fait frissonner avec ses inspirations acoustiques à la Simon & Garfunkel. Le concert s’achève sur une version acide de Cabinet of Curiosities, ou Curiosixties, avec ces orgues baroques dissonants à faire voler les tapis.

Quand vous planez autant tout en étant à jeun pendant plus de deux heures, c’est que vous venez d’ingérer une bonne dose de JaccOrval, encore mieux que la Juvamine. Ce plateau fut idéal pour ressortir avec les yeux en kaléidoscope.


Photos de Patrice Hercay