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Chronique de disque
Julien Baker - Sprained Ankle

17 janvier 2016
Rédigé par François Freundlich


Julien Baker - Sprained Ankle

Sortie le 23 octobre 2015

Note : 4,5 / 5

 

C’est d’une songwriter de vingt ans qu’est finalement venu l’album le plus poignant de l’année écoulée. Julien Baker, de Memphis, étudiante à l’université du Tennessee, nous a éblouis avec ces neuf chansons folk dépouillées et imbibées d’une candeur lumineuse. Ce premier album Sprained Ankle dont elle exécute chaque note a été enregistré dans le studio de Matthew E. White. Il égraine dans une profonde mélancolie les événements détaillés de sa jeune vie, entre tristesse détachée et espoir retrouvé.

Tout commence avec cette vidéo du court premier single Sprained Ankle, où l’on est saisi par cette demoiselle apparaissant comme perdue, fredonnant de sa voix monocorde et angélique des textes écorchés superposés à des chœurs et des orchestrations virevoltantes, s’accrochant à deux simples notes. Cette simplicité à fleur de peau semble tiraillée par la complexité de ses textes emplis d’un spleen qui ne demande qu’à exploser comme un volcan éteint entrant subitement en éruption pour nous réchauffer les entrailles. L’Américaine peut chanter de manière effacée et floue pour finalement s’exprimer pleinement et nous crier une rage volatile en face de chaque oreille. Cette noirceur glaçante peut devenir paradoxalement réconfortante lorsque la chanteuse exorcise ses démons sur cet album avant tout intimiste et très personnel. La voix épineuse et sucrée à la fois s’exalte dans des aigus majestueux où les échos de guitares électriques peuvent s’irradier et finalement éclore.

Sur ce disque organique, les textes peuvent raconter ses blessures autant physiques que psychologiques, traduisant les unes par les autres, comme sur Good News où les sentiments de son mal-être prennent corps sur ses cheveux, côtes, nez, bras ou dents. Ces énigmes esquissées avec une voix tremblotante s’élèvent subitement comme un éclat, passant en un éclair du doute à l’extériorisation, comme sur la ballade acoustique Everybody Does « You gotta run when you find out who I am ». Ou encore sur le fabuleux titre Something, où elle répète avec insistance ces « can’t think of anyone else » semblant exprimer les tréfonds de son âme pour nous subjuguer davantage. Ce mélange de sensibilité enfermée et de force orageuse nous rappelle parfois Elliott Smith. Le seul titre au piano conclut le disque, explorant de nouvelles stratosphères en se terminant sur un vieux prêche télévisé qui fut enregistré par erreur en même temps que la prise et fut conservé, car collant étrangement assez bien avec les ambiances spirituelles du morceau.

On ne tarit pas d’éloges sur Julien Baker, mais ce disque sincère a tout d’une étoile filante qui nous laisse comme différents après son écoute. La songwriter parvient à nous marquer d’une trace indélébile après nous avoir serré la gorge dès la première intonation. Le signe d’un très grand disque.