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Live-Report
Les Trans Musicales de Rennes

22 janvier 2019
Rédigé par Florian Sallaberry

Que nous aimons le début du mois de décembre à Rennes. Nous aimons la sensation de confort que nous procure la chaleur d’une galette-saucisse dans notre estomac. Et nous nous sentons tout de suite prêts à affronter le crachin dégueulasse et le vent froid océanique qui s’engouffre entre les halls du Parc des Expositions. Nous aimons également déambuler dans les rues de Rennes, attraper une douzaine d’huître au marchés, se poser au Barantik, retrouver nos 20 ans, là, quelque part entre la Rue St Michel et la place Saint-Anne.  En 5 jours, nous avons vu plus de 30 concerts entre L’Ubu, L’Etage et le Parc des Expositions pour la 40ème édition des Trans Musicales. Comme d’habitude, le festival se veut défricheur, exigent et éclectique.

Le festival aura fait la part belle cette année aux musiques rock. A l’Etage, nous vîmes les angevins Blind Suns, dont les ballades pop rappellent les War On Drugs et leurs solos de guitare très 80s, mais également Bigger quintet franco-irlandais livrant une pop-rock énergique aux influences blues, lorgnant vers les Last Shadow Puppets. 

Les deux normands Bafang ont foutu la première claque rock du festival. Affichant fièrement le drapeau du Cameroun, les deux frères Enguerrand et Lancelot mélangent sonorités africaines et hard-rock à la Led Zeppelin. Emmitouflé dans un turban, le batteur-touareg rappelle Cyril Atef de Bumcello n’hésitant pas à faire interagir les premiers spectateurs du mercredi à l’Etage. La sauce mafé « à la mode de Caen » prend clairement en particulier sur le dernier morceau Ibamemba où les bassins se dandinent et les hanches se déchaînent.

Au parc des expositions, nous avons dansé sur le rock teinté de tropicalisme des italiens Indianizer, au chanteur à l’empreinte vocale proche d’un Panda Bear, ou sur le combo rock-funk Arp-Frique, porté par le néerlandais Niel Neuborg et sa belle histoire : Il tombe amoureux de la musique créole lors d’un job d’été dans un restaurant puis décide de tout plaquer après un an de pratique de la médecine pour fonder son groupe aux influences multiples.

On aura également vu lors de la soirée de clôture les excellents coréens Wooze, tous de jaune vêtus, dont le chant se partage entre le batteur (né en Angleterre) et le guitariste principal.  Très loin de la k-pop, les coréens dévoilent un rock complexe fait de boucles à la guitare fléchissant vers le Math-Rock. Malheureusement, des basses un peu trop fortes rendront le concert un poil assourdissant ne gâchant rien à la performance scénique du groupe et en particulier du guitariste et du bassiste en ciré jaune, semblant débarqué d’un chalutier, aux chorégraphies travaillées et fendardes.

Il fallait également ne pas rater les Surrenders. Terriblement efficace, les jeunes anglais distillent un british rock à la papa, porté par une énergie incroyable et débordante. Le chanteur se contorsionne, n’hésite pas à slammer et nous rappelle que oui le rock n’est pas mort : il est là, bien en place et rendra encore euphoriques des générations et des générations. On pense aux Libertines forcément, mais aussi aux Stones, aux Small Faces … en abrégé c’est la classe.

Punk encore, les jeune Toulousaines de Madam auront ébahi lors de la soirée de clôture à l’Ubu. Démence rock à la limite du grunge, on pense alors à Hole lorsque la chanteuse s’égosille.Nous fûmes également convaincus par l’incroyable énergie du quintet post-punk venu de Brooklyn : Bodega. Emmené par un duo de percussionnistes en feu, le groupe propose des compositions très courte pour perpétrer la tradition punk. Dans la nuit du samedi au dimanche, alors que l’humidité était à son maximum, les os glacés, nous étions bien content de nous réchauffer au soleil de Bodega qui fut un excellent warm-up à la claque que nous allions prendre ½ heure plus tard.

Les Psychotic Monks sont 4 parisiens, deux guitares, batterie, claviers. Porté par le puissant et incantatoire It’s Gone, nous sommes totalement envahi par le son dément des moines dès le premier morceau. Dans un psyché extrême, guitares saturées et voix en distortion, le set des Psychotic Monks aura fait trembler la tôle du Hall 3 comme jamais. Quand le son du groupe prend des airs de post-rock lorsque les morceaux s’allongent en longues boucles entêtantes, nous jubilons. Envôutés par un jeu de lumière saisissant, fumées et stroboscopes, les images du concert resteront gravées comme l’un des moments les plus marquants des 5 jours.

Nous avons également croisé quelques « inclassables ». Nous avons vu par exemple le déjanté chanteur des Correspondents dont la danse folle nous a essoufflé et dont la musique qui nous a fait penser à un mix de Scatman et Danny Brillant (oui-oui) sur un fond d’électro-swing nous a laissé de marbre. Mais aussi le rockabilly fou de Vurro, homme qui revêt un crâne de taureau et se sert des cornes pour taper sur ses cymbales. Ou encore Hubert Lenoir, artiste pop canadien n’hésitant pas à grimper sur la structure de la scène pour mimer un acte sexuel, parce qu’après tout, pourquoi pas ?

Robert Finley fut révélé sur le tard, il sort son premier album à plus de 60 ans clamant « Age don’t mean a thing ». Chapeau de cow-boy vissé sur la tête et longue silhouette élancée, celui qui a perdu la vue nous présente son dernier album produit par Dan Auerbach, bijou blues-soul à l’ancienne. C’est aussi une plongée dans les années 70 avec le collectif Black Pumas, la voix du chanteur Eric Burton est exceptionnelle en particulier sur le morceau Black Moon Rising tournant déjà pas mal en radio.

Ben Lamar Gay est un artiste hip-hop méconnu qui a sorti récemment une compilation mêlant des morceaux de sept albums non commercialisés. Dans une formation complète incluant cuivres et cordes, Ben Lamar Gay produit un hip-hop classieux empreint de jazz. On aura également croisé la très groove Praa. La jeune rennaise pose son chant très R&B des années 90 sur des boucles électroniques modernes rappelant une certaine Solange.

D’une Knowles à l’autre, on a pensé à Beyoncé lorsque l’éblouissante Muthoni Drummer Queen a enflammé la scène du Hall 9. Entre hip-hop et Pop, la reine kenyane s’est accompagnée de deux beatmakers suisse pour produire son album She. Sur scène, des chorégraphes et des choristes l’accompagnent pour un véritable show, tambours et drapeaux à l’appuis. Multifacette, la Queen se transforme en rappeuse hors-pair avec un flow à la M.I.A. et dont l’énergie aura transcendé son public, entre africanismes et références hip-hop US (on notera le sample du classique The Message au détour d’un morceau) 

Danse encore avec Pongo dont la robe de sequins aura illuminé notre soirée du vendredi. Présentant un kuduro ambitieux, dancehall lusophone à la sauce angolaise, la chanteuse aux cheveux dorés aura troublé une partie du public exécutant des pas de danse kuduro. Elle finit son set en feu d’artifice reprenant le tube de son ancien groupe Buraka Som Sistema, Wegue Wegue.

Hip-Hop toujours avec The Choolers Division, combo belge formé de 2 beatmakers et 2 rappeurs trisomiques. Adoptant une attitude Gangsta, les 2 MCs délivrent des textes énigmatiques dans une langue hybride. Leur flow si pariculier épouse parfaitement les rythmiques complexes des compositions expérimentales du groupe. Electrisant le public de l'Etage, les belges nous auront touché par leur sincérité. 

Hip-Pop enfin avec le daron Disiz, 9 albums au compteur et qui vient présenter son dernier projet sauce SamouraÏ, Disizilla. Enchaînant les morceaux égo-trip en début de concert dont le Mastodonte et son sample euphorisant issu de la B.O. de Godzilla vs. Mothra.  Disiz dévoile par la suite des morceaux plus spleen rap, dédiés à sa mère ou à sa fille. Le rappeur aura d’ailleurs du mal à retenir ses larmes devant la puissance émotionnelle de Ulysse. Le public reprendra par cœur les tubes du précédent album tel Autre Espèce, et à la demande du chanteur met le zbeul sur d’autres morceaux plus énergiques. L’amiénois n’aura même pas besoin de reprendre ses vieux tubes, Disiz est dans son temps à l’image du morceau Hendek  inspiré par un mème célèbre. Il conclut son concert par des morceaux plus dancefloor à l’image de Splash et Kaïju.

Deux révélations électro-pop nous auront particulièrement marqué. Nelson Beer, chant autotuné et basses très (trop ?) fortes et son méga tube I AM A WOMAN aura fait chaviré un public trop peu nombreux le samedi. Nous avons également croisé Makeness, ses mélodies parfaites et ses boucles houses. Nous avons ondulé des épaules conquis par la pop du jeune écossais.

La soirée du samedi a débuté avec un trip électro proposé par le jeune Losange qui fait évoluer sa musique entre nappes prenantes (Minéral) et un final plus surprenant entre eurodance et musique midi type Jeux-Vidéos. Plus tard, ce sont les ougandais Nihiloxica qui nous auront aidé à brûler des calories. Leur son mi tribal- mi techno a transformé le hall 9 en gigantesque dancefloor.

Mais nous avions déjà dansé au son de Nova Materia dès la soirée d’ouverture. Duo Franco-Chilien aux ambitions électro-punk, c’est une véritable tempête dansante qui a secoué l’Ubu. Le duo tape sur tout ce qui bouge et c’est numéro 1 : guitares, cloches, morceau bois, tout est percussion. Nova Materia sait faire bouger les bassins, à la manière d’une James Murphy et c’est un triomphe.

Enfin, notre coup de cœur électro fut le rigolo Ouai Stéphane qui derrière une image fendarde (jetez un coup d’œil à sa chanson Allez la France), propose une électro solide dans la veine des soirées Ed Banger d’il y a 10 ans. Et c’est un peu avec dix ans de moins que nous nous sommes abandonné à cette house puissante faite de synthés ravageurs et beat hypnotiques alors qu’un énorme Big Mouth Billy Bass s’adressait à nous avec la voix de Stéphane.

Epuisés, les veines pleines de gras, nous rentrâmes à Paris sous un soleil éclatant (hé ouais, la Bretagne c’est aussi beaucoup d’humour). Nous n’avons plus 20 ans, nos corps fatiguent. Les Trans non plus n’ont plus 20 ans, et pourtant elles, ne flanchent pas. Exigeantes, défricheuses, elles nous rappellent que la musique de demain a plus d’une forme, mais une seule sensation : l’humidité qui glace les os, le cœur réconforté par l’odeur d’une saucisse grillée. 

Merci à Nicolas Merienne pour les photos des soirée à l'UBU et du samedi soir.