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Live-Report
Mono au Trabendo

25 décembre 2014
Rédigé par Sylvain Calves

Mono - Le Trabendo
11 décembe 2014 Rédigé par Sylvain Calvès

Une petite meuf débarque sur la scène du Trabendo. Elle s’empare d’un violoncelle, instrument massif et tout en rondeur qui parait soudain démesuré. Aucun autre musicien n’est là pour l’épauler et l’espace d’un instant on se demande comment cette fragile présence parviendra à occuper l’espace. On s’inquiète d’autant plus que sa solitude renvoie à la condition même du chroniqueur, lui aussi venu seul ce soir, et pour l’instant un peu perdu dans cette salle bondée.

Quelques jours plus tôt. Une heureuse nouvelle : My Cat Is Yellow obtient une accréditation pour le concert de Mono, ces dignes représentants de l’Est extrême sur la vaste mappemonde du post-rock (avec disons, Explosion In The Sky à l’Ouest, et Mogwai au centre). Puis très vite quelques gouttes de pluie froide, quand nous apprenons que le groupe n’autorise aucun photographe. Je ne pourrais donc pas compter sur mon fidèle binôme pour partager mes impressions et surtout descendre une pinte dans la joie et la bonne humeur.

Et en vérité, assister à un concert tout seul est une drôle d’expérience que l’on ne souhaite à personne. Pour commencer, il ne faut pas s’y rendre trop tôt. Voir la salle se remplir peu à peu de gens hilares et venus en bonne compagnie alors qu’on se tient tout penaud et forcément un peu misérable dans un coin est assez désagréable. J’arrive donc à l’extrême limite, au début du show, juste à temps pour voir les lumières s’éteindre, et ainsi me faufiler dans le noir jusqu’au premier rang. Helen Money s’apprête à jouer sur ce violoncelle qui parait plus grand qu’elle. Alors que beaucoup s’attendent à entendre quelques sonorités délicatement boisées, les premières notes ressemblent à l’idée que je me fais d’un séisme de grande magnitude. Les oreilles morflent d’entrée de jeu et je regrette instantanément de m’être approché si près. L’air est lourd, l’air est épais. En même temps, le spectacle est proprement fascinant. Les nombreuses pédales de distorsions ne sont pas ménagées, carrément malmenées alors que la musicienne s’esquinte les doigts sur les cordes épaisses et grasses. Quand elle se décide enfin à utiliser un archet, ce n’est toujours pas pour caresser l’instrument dans le sens du poil, mais pour envoyer des décharges de distorsion encore plus lourdes et on ne pensait pas que ce serait humainement possible. Le son envahit les lieux, se cogne sur les peaux en sueur, glaçant tout sur son passage. Il fait froid dans ce qui ressemble maintenant à une vaste grotte de montagne. Caverneux en diable, bien pire que les guitares les plus graves de Godspeed. Je me souviens alors que cette faussement fragile jeune fille a fait ses gammes chez les bourrins d’Anthrax et Russian Circles. Et que son album est sorti sur Profound Lore, un label de métal extrême.

De plus, la musicienne n’est pas bavarde, ce qui n’aide en rien à réchauffer l’ambiance. Le show est hypnotique et vire parfois à la pure performance. A ce stade, j’ai déjà renoncé depuis longtemps à traquer la moindre mélodie. Nous sommes ici au delà du goût, seul le geste accapare. Et alors que l’expérience menace de tourner à l’exercice de style un peu vain, Helen Money a la bonne idée de ne pas s’éterniser. Les murs tremblent une dernière fois dans un finish assourdissant. Les accords de fin s’éloignent au loin, non sans avoir administré quelques dernières petites gifles à l’auditeur avant de partir, juste comme ça, pour la route. Les lumières se rallument. Le calme revient. L’atmosphère se charge de cette ambiance un peu particulière qui suit les concerts violents, quand on entend tout de loin, que notre motricité s’en trouve aussi un peu perturbée. Même Rammstein, que le Trabendo a la curieuse idée de diffuser pour patienter entre deux parties, ne parvient pas à dissoudre cette sensation cotonneuse.

Il n’empêche qu’il faut gérer « l’entre deux tours » en solitaire, un peu sonné qui plus est. Deux possibilités s’offrent alors : s’emparer de son téléphone portable et ne plus le quitter, comme si on recevait des choses importantes et ainsi laisser sous- entendre que oui, on a quand même des amis. Ou alors se donner une contenance en ne se départissant jamais d’une pinte de bière, ainsi garder les mains occupées et le gosier humide. Mon aversion pour le tout-communiquant me fait préférer cette dernière solution. Inconvénient néanmoins : mon verre ne peut pas rester vide et il faut sans cesse se ré-approvisionner. D’où un potentiel danger : on peut très vite se retrouver complètement pété. Mais toujours tout seul. Et l’ivresse solitaire n’est pas plus enviable qu’un concert tout seul.

Heureusement, l’attente est de courte durée et je suis encore relativement sobre quand Mono entre en scène. Tout de suite, c’est la neige épaisse et posée, rassurante, qui s’installe durablement sur les plaies encore béantes de nos oreilles maltraitées quelques instants plus tôt. Un baume étalé généreusement, quand le vent et la tempête ont disparu pour laisser place à la contemplation d’un paysage sonore figé mais redéfini et changé à jamais. Il y a encore les crevasses et les abysses, et les ombres des fantômes passés qui tournent et qui retournent. Surtout à la fin du morceau, soudain plus menaçante, qui nous avertit des précipices à venir.

Le groupe vient de sortir deux disques simultanément. Complémentaires, The Last Dawn et Rays Of Darkness voient la formation délaisser pour la première fois les cordes à tendances orchestrales qui, il faut bien le reconnaitre, plombaient parfois leurs compositions, les obligeant à flirter avec une forme de pompiérisme un peu gênante. C’est aussi dans cette configuration plus brute (guitare / basse / batterie / piano) que le groupe apparait ce soir. Ce sera pour eux l’occasion de revisiter une bonne partie de leur vaste répertoire, les morceaux joués à cette occasion appartenant tous à des albums différents. Mises à nu, sans cordes excessives et parasites, ces compositions retrouvent leurs éclats d’origine, avant le passage en studio, avant la surenchère. Une sorte de best of dépouillé, une relecture en directe d’une discographie aussi plantureuse qu’aventureuse.

Dès le deuxième morceau (Unseen Harbor), la guitare joue comme en cascade et les notes semblent emportées par un torrent sauvage. Les mots risquent de se révéler un peu vains à partir de maintenant. Je pourrais écrire que « c’est d’une beauté saisissante et rarement croisée » mais cela ne suffirait pas à rendre compte de l’extase qui s’est emparée de la salle toute entière dès le début du concert. On pense à la nature bien sur, à des paysages que l’on a jamais vu mais que l’on imagine forcément magiques, sauvages, où l’on croiserait souvent quelques animaux étranges et parfois inconnus. D’ailleurs, sur Pure As Snow, l’ascension n’en fini pas de révéler de nouveaux trésors à mesure qu’elle se fait aussi plus périlleuse. Morceau de bravoure du classique Hymn To The Immortal Wind, cette épopée verticale force l’auditeur à côtoyer des sommets que l’on pensait inaccessibles.

Après cela, difficile de monter plus haut. Halcyon et sa courte durée (en comparaison du reste des compositions, avoisinant toutes les 15 minutes) permet de faire une pause. C’est un peu comme si l’on s’arrêtait brièvement sur un plateau, un spot que l’on aurait trouvé idéal pour s’accorder une petite sieste qui sera pourtant ponctuée de rêves forcément très imagés. Endormi, j’en profite pour passer vite sur Where We Begin qui malgré sa mise à nu ne parvient pas à se départir de son côté guerrier par trop grandiloquent. Et puis un réveil tourmenté sur Ashes In The Snow qui franchit allègrement le mur du son dans un finish proprement assourdissant, comme une mise au point visant à rappeler que le groupe peut jouer fort, très fort, plus fort que la plupart de ses collègues et suiveurs. En clôture, Everlasting Light résume l’essentiel du périple parcouru, passant d’une délicatesse extrême à une forme de big bang où roches et mers semblent se confondre.

Et sur cette nouvelle terre fraichement constituée, le groupe nous abandonne. Cette absence est instantanément douloureuse, mais au fond on savait depuis le début que ça ne durerait pas. Que le concert finirait forcément trop tôt.
En sortant, le parc de La Villette est une étendue de glace. Le trajet du retour sur la ligne 5 ressemble à un séjour dans l’espace, à bord d’une fusée pas encore inventée. Chez moi, mon deux pièces est à ciel ouvert et offre une vue panoramique sur la voie lactée.