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Live-Report
Nils Frahm à La Laiterie

13 février 2018
Rédigé par François Freundlich

Une sévère impatience s'est emparée du public de La Laiterie à l’approche de la performance du prodige berlinois Nils Frahm. La salle est pleine à craquer et la circulation devient compliquée, au point que les photographes n’ont pas été autorisés à œuvrer ce soir. On tente de se hisser sur les gradins pour apercevoir la machinerie géante et profiter du show en scrutant entre les deux têtes devant nous.

 

Nous sommes quelque peu surpris par un tel engouement, puisque nous connaissions Nils Frahm de par son passage dans le petit auditorium du Musée d’Art Moderne de Strasbourg en 2013, mais aussi pour son concert magistral dans la petite chapelle St Sauveur lors de La Route du Rock Hiver 2011 à St Malo. Hors des grandes installations, l’Allemand jouait alors uniquement sur un simple piano à queue ainsi qu’un laptop, mais en utilisant toutes les possibilités que l’instrument lui offrait, de la mélodie à la rythmique. Avec la hype qui l’a saisi, Nils Frahm a cette fois vu très grand puisque c’est une installation impressionnante qui s’étale en hauteur et en largeur sur la scène avec de multiples machines analogiques dotées de davantage de boutons à presser que dans la cabine de pilotage de l’USS Callister. Caustique, le virtuose n’hésite pas à blaguer sur le fait qu’il doive tourner tellement de boutons avant de commencer un morceau que cela l’oblige à meubler en nous parlant. Il justifiera d’ailleurs un faux départ en admettant qu’il avait tourné le mauvais bouton.

 

Car oui, Nils Frahm fait aujourd’hui davantage de musique électronique que de piano classique. Malgré le piano à queue, le piano droit et le toy piano présents sur scène, il ne les utilise qu’à des occasions trop peu nombreuses. Nils Frahm se concentre sur l’électro minimale, les bras en l’air, dos au public, occupé sur son mur de machines comme un sorcier faisant une offrande au dieu RA (ou kRAftwerk). Son autel de machines analogiques vintage offre pourtant des sonorités des plus contemporaines. Le musicien semble avoir épuré chaque note pour la simplifier au maximum et n’en garder que l’essentiel, sans fioriture aucune. L’impression est forte puisque la qualité du son est parfaite, d’autant plus que le silence dans la salle est tel qu’on penserait être à l’opéra. Raclage de gorge interdit.

 

Le son est ample et froid, plutôt passionnant au premier abord comme sur l’excellent titre All Melody / #2, où le piano et l’électronique se mélangent idéalement. Il est plus compliqué à suivre sur la longueur puisque le revers de la médaille de l’électro minimale est le manque d’action et de surprise sur les longues plages sonores uniquement synthétiques. On se dit parfois que l’on préférait lorsqu’il n’avait qu’un seul piano avec lui, ce qui évidemment déplaçait moins les foules. Nous retrouvons finalement cette fougue sur le dernier titre Toilet Brushes – More, où Nils Frahm débute en frappant son piano comme un instrument de percussion avant de poser une main sur un clavier différent pour faire résonner ces sonorités claires et cristallines, angéliques et irrésistibles. Le virtuose nous éblouit de par la facilité avec laquelle il se joue de son clavier en complexifiant et en accélérant sans cesse. 

 

L’impression globale reste excellente malgré quelques longueurs, on a pris une petite claque ce soir à La Laiterie avec ce concert à la pointe la plus pointue de la musique contemporaine. Nils Frahm ne cessera jamais de nous surprendre et de nous ébahir avec les années.