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Live-Report
Père Ubu - La Maroquinerie

29 janvier 2015
Rédigé par Florian Sallaberry

Un vieux monsieur s’avance avec sa canne dans la main : David Thomas rejoint d’un pas peu assuré le fauteuil qui trône au centre de la scène de La Maroquinerie. En vrai punk, David a commencé à produire du son à la fin des années 70. Depuis il n’a jamais cessé, produisant une quinzaine de disques avec son groupe à géométries variables : Père Ubu.
Véritable ORNI (Object Rock Non Identifié),  le groupe joue depuis toujours un rock expérimental, en constante évoution et en recherche de sonorités nouvelles, sur lequel David vient poser sa voix plaintive et nasillarde. Le dernier album du groupe Carnival Of Souls semble revenir aux racines rock du groupe tout en maintenant les expérimentations électroniques de l’album précédent.

La première partie du concert consiste en une longue improvisation d’une demi-heure où David déclame des textes en faisant varier sa voix des aigüs aux graves tandis que le groupe joue un son aux frontières de l’indus. Le batteur frotte sa caisse claire, la clarinette est distordue, l’homme préposé aux iPad et au Theremine s’en donne à coeur joie. A la fin du premier “morceau”, David s’empare d’un instrument fait main qui s’apparente à une trompette-pouet-pouet et agrémente le tout d’un très charmant bourdonnement digne des plus beaux vuvuzelas. Parfois, la guitare et la batterie reprennent le dessus rappelant le côté rock prog du groupe.
Nous nous perdons dans cet océan sonore et rythmé alors que David entame sa bouteille de rouge, qui semble être de la piquette et dont on sent les effluves au premier rang. Soudain, en chef d’orchestre, il demandera un son particulier au “Thereministe” qui ne parviendra pas à comprendre ou à le réaliser ce qui provoquera un moment assez comique.

David nous annonce une pause de quinze minutes puis viendra la partie “professionnelle” du concert. Le public se rue sur le bar pour récupérer une bière pendant ce courte entracte. Il y a des jeunes, des moins jeunes et des beaucoup moins jeunes. Un mélange de générations et de styles venu écouter les très peu sages paroles d’un vieil homme fatigué.

Le groupe revient sur scène, David s’installe sur son fauteuil, pose sa canne, sort ses lunettes pour lire les paroles disposées sur un chevalet et entame son troisième gobelet de vin. Nous ressentons les ondes provoquées par la puissance du jeu du batteur dès les premiers instants. Cette partie du concert sera rock et sans concession.
Assez potache, David sort quelques blagues sur le premier rang où il aimerait voir plus de filles. On le sent fatigué, il prendra sa tête plusieurs fois entre ses mains. S’il n’a plus la force de se jeter avec vigueur dans la grosse caisse de son batteur, il nous gratifie d’un geste incroyable au milieu d’une chanson. Ayant préalablement retiré sa chaussure, le bon vieux pépère Ubu fait tourner sa chaussette autour de la tête tout en effectuant des quarts de tours sur lui-même : Punk ! Au détour d’une chanson, David nous offre une intro en français dans un  blues a capella torturé. Entre ses blagues, le groupe joue un rock expérimental efficace oscillant entre moments énervés et distordus, appuyé par une clarinette qui lorgne du côté du free-jazz.
Le public hoche la tête, au mieux un headbanging timide. Tout à coup, David sort la gasoline Caroleen et craque une allumette : il a mis le feu, les corps se bousculent, les tignasses, lunettes et barbes des jeunes et moins jeunes s’agitent, le pogo est lancé. Mieux vaut tard que jamais. Cette flamme incandescente ne durera qu’une chanson, mais quelle énergie, quelle folie devant ce papi bourru. On espère qu’il aura pris son pied, même s’il dit s’en foutre.
David manque de se prendre les pieds dans le cable de son micro, ce qui aurait été un bon gros dernier gag, lorsqu’il rejoint le backstage avant de revenir pour une ultime chanson, sorte de ballade de la distortion où David se permettra une citation de I Put A Spell On You. Avant de nous quitter, le rigolo nous joue la marche du merchandising, une chanson nous invitant à acheter ses albums ou ses jolis t-shirts orange qui se marieront parfaitement avec la couleur des yeux de notre copine, nous dit-il.  

L’uluberlu ubu aura bien bu. Sa bouteille est quasiment finie. Nous repartons de la Maroquinerie en ayant la certitude d’avoir vu une légende : un punk, un vrai, qui ne vend pas ses guitares sur Le Bon Coin.