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Live-Report
Tainted Love Festival

06 novembre 2017
Rédigé par François Freundlich

« Parfois j’ai l’impression que je dois m’enfuir, m’échapper », disait Soft Cell en 1981… et Gloria Jones en 1964. En 2017, ce morceau Tainted Love inspire un festival strasbourgeois, regroupant des groupes au leitmotiv d'amours désabusées ou salies, le tout pendant les vacances de la Toussaint. Un genre d’anti-St-Valentin mélancolique avec une quinzaine de formations parmi lesquelles Lysistrata, Ventre de Biche ou The Underground Youth. On est parti pour quatre jours d’amour fou en très bonne compagnie.

 

Les choses très sérieuses commencent dès le premier concert du premier soir puisqu’il s’agit certainement du groupe le plus rentre-dedans du festival. Le duo italien OvO vient de Ravenne, entre Bologne et Rimini. Ils font trembler les murs de la Salle des Colonnes avec un métal minimaliste porté par la voix, rappelant celle de la petite fille possédée de l’Exorciste, d’une chanteuse à dreads traînant au sol : Stefania Pedretti. « Non mais vraiment, qu’est-ce qu’il t’a pris d’aller mourir à Rimini ? », disait l’autre : avec OvO, l’outre-tombe n’est jamais très loin. Le batteur Bruno Dorella est impressionnant de maîtrise, déployant une rythmique ultra-rapide et puissante avec une aisance décontractée. Leur maquillage tribal de demi-lune sur le front ajoute encore plus au folklore d’un groupe qui nous fait remuer la tête dès le début de soirée. On se souviendra de ces incantations a capella en italien de la chanteuse sur le titre Marie, qui est presque parvenu à faire apparaître un fantôme de Vierge zombie. De l’amour à la peur.

On se calme un peu avec Ventre de Biche, le projet solo de Luca Retraite, installé face son synthé et sa boîte à rythmes. Les boucles de claviers lo-fi s’enchaînent, doublées par une voix désabusée à l’écho prononcé. Les nappes dissonantes et angoissantes se mélangent à des beats hip-hop saccadés. Avec ces textes bruts, Ventre de Biche nous remet les pieds sur la terre et le nez dans le caca avec ses histoires de flics et de ruelles sombres de la Plaine de Bouchers, quartier strasbourgeois bien connu. Il subsiste néanmoins un second degré assumé dans ce petit côté dansant aux relents 80’s, mélangé à des inspirations de punk à la Bérurier Noir ou de chanson française murmurée à la Gainsbourg. Ventre de Biche parvient à instiller une ambiance immédiate dès la première note de chaque morceau. Une ambiance qui met parfois mal à l’aise. On s'identifie néanmoins rapidement à ces textes, à ce sentiment de rejet face à un monde souvent abject mais exprimé crûment avec une justesse implacable. Au final, on a juste envie de bouger ses membres en se demandant jusqu’où les lyrics pourront bien aller, tout en se marrant au détour d’un jeu de mots. On prolongera l’expérience avec son album 333, Mi Homme, Mi Bête, qui vient de sortir.

Pour terminer cette première soirée, de duo belge Le Prince Harry va nous retourner le cerveau avec ses synthés hypnotiques hyper rapides et hyper torturés. La frénésie princière s’élève toujours d’un cran avec leur synth-punk entêtant provoquant des tremblements indéterminés dans les membres. La boîte à rythmes a remplacé le batteur qui officiait précédemment lors des dernières tournées mais c’est pour mieux nous embourber l’esprit de leur techno flirtant parfois avec la cérémonie tribale. La voix grave en anglais ajoute ce petit côté cold wave dont on a besoin pour se voir complètement immergé. Côté public, ça danse sérieusement sur la moquette de la Salle des Colonnes, difficile de résister aux mouvements désarticulés face à l’hystérie Le Prince Harry, un groupe en roux libre.

On commence la deuxième journée du festival avec Lingua Nada, quatuor math-rock venu de Leipzig qui déchaîne une passion gigantesque tout en conservant une certaine subtilité dans des compositions alternant douceur et excitation. Lingua Nada donne l’impression de pouvoir partir dans tous les sens à tout moment en nous laissant à quai. Mais leurs riffs millimétrés mêlés à une voix en retrait sont diaboliquement addictifs avec ce léger côté pop qui nous prend par les sentiments, malgré la violence de l’ensemble. Avec leurs sonorités fourmillantes qui semblent nous arriver par tous les pores, ce jeune quatuor prend la forme protozoaire d’une surprise permanente et d’un déferlement électrique qui ne s’arrête jamais. L’excellente embuscade de ce début de journée d'un groupe qui a en plus l'air d'être gentil comme tout.

Remplaçant au pied levé le groupe Raymonde, malade, ce sont les locaux de La Flaque qui sont chargés de continuer la soirée. Une flaque de bière s’étant formée sur la moquette dès le premier morceau, le concert peut débuter sans inquiétude. Le duo déploie ses 8-bits et autres puzzles sonore façon The Avalanches, penché sur ses machines. On pourra entrapercevoir des dialogues de Tintin Objectif Lune mixés à des vibrations semblant tout droit sorties d’une vieille Gameboy. Un genre d’hommage à nos après-midi d’enfance passés devant Tetris et FR3 mais en mode acidulé, et pas que par les bonbons. La Flaque termine par leur morceau Hipster Nazi plutôt hilarant, comme l’ensemble d’un set qui nous aura collé un bon sourire aux lèvres.

On avait déjà eu l’occasion de croiser le trio magique venu de Saintes, Lysistrata, et on avait hâte de retrouver leur fougue. Dès les premiers morceaux, on se retrouve submergés par la complexité abrupte de leurs compositions, évoluant entre math-rock et noise. Malgré leur jeune âge, ils parviennent à mêler leur folie avec une maîtrise impressionnante entre passages instrumentaux prolongés à l’extrême, rappelant Explosions In The Sky, et morceaux chantés en format pop indé, rappelant Foals. Ben, Max et Théo se partagent le lead vocal puis se tordent sur leurs instruments, en donnant absolument tout. Une grande partie de leur excellent premier album The Thread est joué, dont le titre éponyme d’ouverture ouvrant le concert, se révélant être une claque monumentale. Lysistrata possède également des singles complètement addictifs, à l’image de Asylum et ses déclarations d’amour à leur famille déclamés à l'unisson sur une guitare saccadée et une batterie hyper rapide. Le public hésite entre s’exciter dans la danse ou rester attentif, complètement abasourdi mais conscient d’être en pleine jouissance et ne voulant pas en rater une miette. L’énergie déployée est à peine descriptible : on tient là l’un des meilleurs groupes français live, rivalisant sans complexe avec leurs pairs anglais ou américains. Jusqu’au pont atmosphérique final de The Boy Who Stood Above Earth, révélant une facette toujours plus variée sur des passages aériens aux textes récités, Lysistrata nous aura surpris à chaque seconde du concert. On n’est pas près de les oublier en écoutant en boucle leur premier disque.

Le troisième jour du festival s’ouvre avec un groupe de grunge originaire d’Epinal : Daale. Le trio nous envenime avec ses morceaux sombres aux basses frénétiques, portés par une voix éraillée rappelant l’époque bénie des débuts des 90’s, Nirvana en point de mire. Le grunge se fait rare en 2017 et avouons qu’on se fait plaisir avec le trio, qui n’hésite pas à monter le volume sonore au maximum pour nous noyer sous les décibels. L’originalité n’est pas toujours au rendez-vous entre les morceaux, mais on a cependant bien remué la nuque.

 

Les Mexicains de Has A Shadow investissent la scène pour déployer leur shoegaze lancinant, malicieux et planant à souhait. La voix lointaine d’un chanteur penché sur son micro et ses pédales d’effet s’extirpe à peine de lourdes boucles de guitares et de basses psychédéliques. Le quatuor sait néanmoins se rapprocher de la pop en comptant sur les chœurs et les notes nappées d’une claviériste faisant énormément dans la subtilité des adaptations live. On pense parfois à une rencontre de New Order et The Jesus & Mary Chain dans ses lents déploiements froids et enivrants. L’amour ombragé de Has A Shadow aura su nous conquérir et nous envelopper.

Pour la dernière soirée du Tainted Love Festival , c’est la salle du CEEAC qui accueille les Mancuniens de The Underground Youth, ce quatuor ayant choisi Berlin comme ville d’accueil. Leur post-punk méticuleux porté par la voix d’outre-tombe du chanteur Craig Dyer invoque les esprits de la fin des 70’s, rappelant notamment Joy Division avec cette basse lourde et répétitive, mais aussi The Raveonettes avec cette guitare déchirante. La séance d’hypnose peut commencer sur des compositions semblant s’accélérer subitement puis ralentir au bon vouloir de la batteuse Olya, debout derrière ses fûts, au look aussi sombre que l’ambiance qui règne dans la salle. Les longues plages nocturnes se succèdent avec ce côté fantomatique omniprésent qui nous prend aux tripes en cette soirée d’Halloween. Ces vampires espèrent nous empoisonner et nous n'y résisterons pas longtemps. Dyer se mêle finalement au public pour interpréter Heart On a Chain, vite rejoint par ses deux acolytes, les trois terminant dans un final assourdissant en levant leurs guitares au-dessus des têtes. Le rituel peut s’achever, le festival aussi.

Cette première édition du Tainted Love Festival organisée par le label October Tone nous en a mis plein les mirettes avec des groupes locaux et internationaux parmi les plus impressionnants de la scène actuelle. Les amours corrompues d’octobre ne nous ont pas trahis.