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Live-Report
Xiu Xiu + Strasbourg au Petit Bain

02 juin 2014
Rédigé par Amandine Hénon

Il existe de ces ambiances moites et malsaines dans lesquelles on aime se laisser glisser, de celles qui repoussent nos tabous quotidiens et font jaillir au grand jour les tréfonds de nos esprits torturés.
Ce soir, exit la pop enjouée multicolore ; le Petit Bain invite en son sein deux formations sombres talentueuses dont l'angoisse se propagera dans l'assemblée comme une maladie vénérienne.

A chaque groupe son style et qu'il s'agisse des loops synthétiques de Strasbourg ou des percussions haletantes de Xiu Xiu, nous aurons droit à deux heures sans trêve, et lorsque nous remonterons à la surface, sur les quais brumeux et humides de la Seine, ce sera le ventre noué et l'esprit retourné.
Qui peut encore dire que la musique française n'engendre que de bien tristes interprètes de variété formatés au télé crochet ? Il suffit d'écumer quelque peu les petites salles parisiennes pour constater à quel point l'émulsion hexagonale ne cesse de contaminer les jeunes formations, pour notre plus grand plaisir. Aujourd'hui Strasbourg nous donneront raison en proposant un set de mise en bouche palpitant. Mêlant violon et boîtes à rythmes, ils transposent leurs manies autistiques en les retranchant jusqu'à leurs limites. Dans une même mouvance dark et malsaine comme peuvent l'être Xiu Xiu, ils nous rappellent cependant plus, musicalement, Luis Vasquez et son groupe The Soft Moon. Chantant en français, Strasbourg font un pied de nez à la tendance actuelle à tout aseptiser et quand retentit le laïus « Sexe et violence », le parallèle avec Jamie Stewart est tout trouvé.
Après quelques dérives légèrement pop avec Always en 2012, nous avons eu le plaisir de retrouver le combo le plus dérangeant des États-Unis avec un splendide Angel Guts : Red Classroom qui renouait avec les ambiances de fond de cave que l'on avait découvertes sur A Promise. La couverture médiatique de cette sortie n'a malheureusement que peu focalisé sur l'essentiel (à savoir un album plus sombre et anxiogène que jamais, sur fond de suicide et de pratiques sexuelles extrêmes sublimé par les dissonances et le chant si particulier de Stewart) pour mettre en avant les clips provocants mettant en images ces mêmes thèmes. Pour justement reprendre le clip très controversé de Black Dick (paru sur Youporn), Xiu Xiu n'est pas uniquement ce concentré de violence et de sexe, c'est aussi, et avant tout, un Jamie Stewart fragile, aux émotions exacerbées et voir un porno gay entrecoupé de scènes de chatons super cute résumait finalement très bien le personnage.
Ce soir, Xiu Xiu sont en formation réduite et seule Shayna Dunkelman accompagne le frontman. Après un petit rituel que l'on imagine porte-bonheur, le set peut enfin débuter. A notre grande satisfaction, Jamie Stewart semble être remis de ses problèmes de cordes vocales qui ont valu au groupe d'annuler une grosse partie de sa tournée américaine. A son habitude, il dispose sur un coin de la scène ses deux mugs soigneusement étiquetés pour se gargariser entre chaque titre. Dès les premières secondes, nous ne pouvons qu'être époustouflés par la présence éclatante du bonhomme. Cette anti- rock star fait preuve d'une implication sans borne et il nous livre ses tripes. De son chant plaintif, il propose un florilège de supplications, agrémentant le spectacle de danses en tout genre. De son côté, Shayna Dunkelman ne compte pas retenir sa fougue et ses fûts sont maltraités, martyrisés, tandis qu'elle bat la cadence dans une transe langoureuse. Comme une petite habitude qui perdure depuis de nombreuses années, Sad Pony Guerilla Girl est reprise en fin de concert dans une version totalement inédite et difficilement reconnaissable.

Splendides, majestueux, insolents, dérangeants et diablement émouvants, les adjectifs nous manquent pour décrire la performance de Xiu Xiu ce soir au Petit Bain. Jamie Stewart, au top de sa forme, nous balance un condensé de son talent brut et brutal. La beauté dans la douleur.