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Chronique de disque
Oiseaux-Tempête - S/T

13 janvier 2014
Rédigé par Sylvain Calves




Oiseaux-Tempête

Sortie le 6 novembre 2013

Note : 4/5





Oiseaux-Tempête est né en marge de Farewell Poetry et du Réveil Des Tropiques, deux groupes déjà partis explorer sans boussole la vaste cartographie du prog rock. Une musique si égarée qu’il est difficile de savoir si ces intitulés énigmatiques constituent le titre du disque, ou le nom du groupe. Bienvenue dans un monde sans frontière mais plongé en plein brouillard.

Nous retrouvons donc Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul dans leur nouvelle quête (pour eux, un nouveau disque = un nouveau groupe), ici rejoints par Ben McConnell, illustre batteur croisé chez des formations moins portées sur l’aventure, telles que Beach House ou encore Au Revoir Simone. Un solide trio qui n’en est finalement pas tout à fait un. Car si cette musique déjà bien évocatrice apparaît dès la première écoute hautement cinématographique, c’est probablement parce que la réalité du monde, tantôt brute, tantôt fantasmée, est venue enrichir de manière significative le processus créatif.
Envisagé dès le départ comme une expérience hybride à la croisée du visuel et du sonore, Oiseaux-Tempête a enregistré l’intégralité de son album en adéquation avec les images et les sons glanés par Stéphane C, photographe-vidéaste, lors d’un récent voyage dans une contrée devenue dernièrement synonyme d’actualité sinistre, voire catastrophique.
Cet album prétend ainsi relater la crise économique qui a frappé la Grèce et au-delà rendre compte, dans une démarche d’anticipation particulièrement ambitieuse, du déclin de l’occident tout entier. Le disque est massif et labyrinthique. Crise de mégalomanie sur le papier, mais intention louable à l’écoute. D’autant plus que le disque est à l’arrivée bien plus que cela.
Certes, on trouvera les traces de la débâcle grecque sur la bien-nommée Buy Gold (littéralement : acheter de l’or), tout comme sur le morceau précédent, où l’alphabet constitue une référence directe laissant peu de place à l’équivoque. Pourtant, le disque s’affranchit complètement de son postulat de départ, qui se révèle rapidement simple tremplin pour toutes les expérimentations et échappées possibles. À l’arrivée subsiste surtout l’impression de toucher du doigt la nature profonde d’une musique totalement libre, mais ayant eu besoin, pour voir le jour, de définir des carcans politiques et un brin étriqués. Comme des garde-fous sciemment mis en place pour éviter de finir à l’asile.
Précisons-le plus clairement : nous sommes ici aux antipodes d’un album engagé (quoi que cela veuille dire). Aucune parole revendicatrice, aucun message bastonné lors de refrains fédérateurs. Ne surtout pas attendre ici des lyrics évocateurs et rassurants. Des paroles ? Il n’y en a aucune venant briser les 75 minutes de ce qui restera de bout en bout un gros trip généreux pour certains, peu aimable pour d’autres.
Aux discours martelés, Oiseaux-Tempête préfère opposer des odyssées dantesques, parfois agitées, souvent éthérées, mais régulièrement court-circuitées par des parenthèses plus minimalistes (la très belle et épurée Silencer). À l’arrivée, le disque est moins un témoignage politique qu’un geste poétique, mêlant contemplations infinies et brusques accès de furie. Laves en fusion et cascades prises en glace. Des territoires arpentés comme des travellings infinis.
D’ailleurs, si Oiseaux-Tempête rivalise d’abord avec les « darons » du genre (Mogwai et Explosions In The Sky en tête), d’autres comparaisons, qui ne se limitent plus exclusivement au domaine musical, s’imposent vite comme une évidence. Par exemple, les 11 minutes constituant La Traversée semblent construites à partir du son des palmes d’hélicoptères qui hantaient l’intégralité du film Apocalypse Now, le chef-d’œuvre de Francis. F. Coppola (qui relatait déjà la déliquescence d’un monde, d’une société, engloutis par la folie d’un (des) homme(s)).
Mais au fond, si le disque de Oiseaux-Tempête apparaît comme véritablement révolutionnaire, fossoyeur en effet d’un certain consumérisme occidental, c’est surtout dans la façon dont le groupe appréhende la musique. À une époque de dématérialisation avancée, leur disque n’est pas fait pour les iPod, les iMac, ou quoi que ce soit d’autre sentant trop la Pomme ou Microsoft. L’objet, le disque en tant que tel, se révèle plantureux, et nécessite du temps, précisément ce qui nous fait si souvent défaut. Le son ne peut ainsi s’épanouir qu’en vinyle, et force l’écoute attentive, tout comme l’examen minutieux du livret et son artwork plantureux.

Enfin, pour que l’expérience soit tout à fait complète, il ne faudra pas manquer d’aller voir le groupe en concert, et mieux, ne surtout pas rater leur film expérimental actuellement en préparation qui accompagnera de prochaines performances live.