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Live-Report
La Route du Rock 2018 - Vendredi

23 août 2018
Rédigé par François Freundlich

Dans les mois qui précèdent la mi-août, l’attente est fébrile à scruter les moindres indices de bribes de programmation que notre festival fétiche, La Route du Rock, nous délivre au compte-goutte. Puis finalement vient le moment tant attendu de la traversée du pays pour retrouver St-Malo la grise et le Fort de St-Père, terrain de jeu de tous les amours. Cette année, le festival malouin avait décidé de s’ouvrir à un public plus varié en invitant des têtes d’affiche de variété française comme Étienne Daho ou Charlotte Gainsbourg. Mais l’invitée tant attendue était évidemment Patti Smith, s'annonçant comme le sommet de cette édition. La pop et le rock indé ne sont évidemment pas oubliés avec une bonne dose de nouveaux groupes actuels et des retours attendus comme ceux de Grizzly Bear et Phoenix. C’est parti pour trois jours de réjouissance au pays du goéland voleur.



Nous les suivons depuis quelque temps dans ces pages et ils ont l’honneur d’ouvrir cette 28e Route du Rock : les Parisiens du Villejuif Underground sont prêts pour échauffer nos cœurs sur la petite scène des Remparts, qui a pris en envergure cette année. Après quelques petits problèmes de boîte à rythmes, le chanteur australien Nathan Roche lance les hostilités de sa voix parlée, comme si Lou Reed avait abusé du Banania aromatisé. Quelques synthés éraillés sont chargés de nous faire remuer en cette fin d’après-midi ensoleillée, alors que nous sommes encore pleins d’entrain, pensant naïvement comme chaque année que la fatigue a été oubliée à la maison, comme la brosse à dents. Les décibels exultent sur une guitare électrique saturée alors que des boucles métronomiques nous envoûtent et nous chahutent. Le leader n’oubliera pas de traverser les barrières pour terminer le show au beau milieu du public et nous faire profiter au plus près de ses pas de danse chaloupés. De Villejuif à St-Malo, un coup de canif dans mon canot.



Les groupes français souvent aux abonnés absents sont cette année sur le devant de la scène, puisque le duo tout en puissance The Limiñanas enflamme la première fois la grande scène du festival. Leur blues rock à résonance garage trouve habituellement davantage d’échos aux USA que dans leur pays, mais ils ont trouvé à La Route du Rock un public mélomane acquis à leur cause. Quoiqu’un brin répétitif, le show se veut efficace et vise à faire remuer les têtes en rythme au son d’une guitare cradingue et compulsive. La batteuse Marie Limiñana s’en donne à cœur joie derrière ses fûts en transmettant une grosse énergie positive et communicative à l’audience, apportant une certaine fraîcheur sur ses parties chantées en français. Le duo est accompagné d’un groupe déployant des murs saturés tout en puissance. Ils seront rejoints par Anton Newcombe, chanteur de The Brian Jonestown Massacre, qui a produit leur dernier disque, pour une version organique de Istanbul Is Sleepy. Le groupe reprendra finalement Gloria, comme un préquel au concert du lendemain avec Patti Smith…



L’histoire d’amour entre Grizzly Bear et La Route du Rock ne semble pas avoir de limite, puisque les Américains foulent le Fort de St-Père pour la troisième fois. Les deux premières avaient marqué les esprits : on se souvient du remplacement de dernière minute suite à une annulation en 2006, avec un groupe qui était alors quasi inconnu. C’est en fers de lance du rock indépendant que l’un des meilleurs groupes actuels revient, au sommet de son art. Grizzly Bear a la bonne idée de piocher dans les meilleurs titres de ses trois derniers disques pour nous faire frémir jusqu’à l’os. Nous garderons un souvenir ému de Ed Droste et son pull-over jaune, livrant toute son âme au travers de sa voix si lumineuse, même si aucun extrait de l’album Yellow House n’est proposé ce soir. La magie opère lorsqu’elle rencontre celle de Daniel Rossen pour nous faire transplaner vers des sommets enneigés. Si le son n’est pas à la hauteur de l’événement dès le début du concert, il est par la suite corrigé pour nous voir frémir sur le duo vocal poignant de Yet Again et ce son de guitare reconnaissable, qui leur est devenu propre. L’enchaînement onirique de Ready, Able et Sleeping Ute nous envoûte littéralement, parvenant à nous faire rêver et à nous torturer dans un juste milieu entre mélancolie folk et explosions psych-rock. Sans oublier ce petit frisson de nuque. Mourning Song, le tube aux accès synthétiques de leur dernier album se voit enchaîné avec leur titre ultime Two Weeks. Le public reprend les chœurs à l’unisson dans un bonheur communicatif. L’un des titres "bande-son de notre vie", interprété si justement dans ces conditions, restera comme un grand souvenir de cette édition. Grizzly Bear a l’habitude de dominer les débats lorsqu’il s’agit de définir la meilleure prestation d’un festival : cette fois encore, les New-Yorkais remportent tous nos suffrages.



Après ce moment hors du temps, il est temps pour le gros post-punk qui tâche de reprendre ses droits sur la scène des Remparts avec Shame, l’un des rares groupes britanniques de la programmation de cette année. Le quintet du South London explose littéralement devant nos yeux ébahis en déployant ses tempos ultra rapides, sa basse frétillante et sa guitare lancinante. Le chanteur foufou Charlie Steen donne de sa personne à l’avant de la scène en invectivant un public qui réagit en sautant comme un seul homme. Si l’électricité est toujours présente dans leurs titres, certains prennent néanmoins l’allure de pop-songs super efficaces, comme sur One Rizla,qui produit une irrésistible bougeotte à nos hanches. En meneur excité et torse nu, Steen le provocateur exulte et se masse les tétons devant un public en ébullition. Shame était bien le brûlot bouillant de cette première soirée de Route du Rock.

Beaucoup de monde attendait le concert de l’idole rennaise Étienne Daho, puisqu’on circulait beaucoup mieux dans le festival après son passage. Quoi qu’il en soit, nous lui dédions une oreille, même s’il nous arrive de changer de station lorsqu’il passe sur Radio Nostalgie dans la voiture. Au départ, on a du mal à reconnaître Daho, puisque le son est très électrique et sombre, avec une voix légèrement modifiée. Son dad rock tente de s’imposer en force sans trop nous convaincre. Les tubes sont finalement interprétés, comme Week-End à Rome dans une version synthétique et ralentie plutôt réussie, avec une mise en avant de la voix permettant une communion avec les fans. Tombé pour la France et Le Premier Jour résonnent dans le fort : on se dit que La Route du Rock a bien changé. Après La Femme l’an dernier et Daho cette année, les pauses au bar s’allongent, même si on aime quand le festival ne fait pas faillite. Bref, "ça sera bien", comme dirait l’autre.



Retour aux choses sérieuses avec The Black Angels, fin prêts à nous faire vibrer de l’intérieur avec leur rock psychédélique en constante dérivation. La voix aiguë du chanteur Alex Maas nous transperce à chaque syllabe, survolant leurs lentes mélopées stratosphériques. Les Texans sont pratiquement invisibles, évoluant comme à leur habitude dans la pénombre d’un écran géant diffusant formes et couleurs miroitantes. Leur son se fait de moins en moins psyché et de plus en plus garage au fur et à mesure du concert, si bien qu’on passe de la danse lente à une frénésie métronomique assez inattendue pour un concert des Black Angels. Tout cela vient de la batteuse Stéphanie Bailey, installée à l’avant de la scène et qui attire irrémédiablement nos regards au fur et à mesure qu’elle provoque nos secouages de genoux. The Black Angels parlent à nos tripes avec ces cris de guitares transcendantales et ces dérivations acérées de claviers qui semblent parfois évoluer à part des morceaux pour toujours s’y inscrire parfaitement. On ne peut que ressentir l’expérience et se laisser porter par cette voix aux déliés hallucinogènes.



Anton Newcombe est de retour sur la grande scène avec son Brian Jonestown Massacre, prenant la relève des anges noirs de la mort. Le tempo se ralentit fortement, puisque les sonorités folk rock vont prendre le pas sur les excitations saturées qui ont fait la réputation sulfureuse du groupe. Tout est ici méticuleux, avec une certaine volonté de perfection dans le son. Anton a donc bien arrêté de prendre des produits pour le plus grand bien de la qualité de ses performances scéniques. Sa voix sombre et rocailleuse nous saisit, semblant ne jamais avoir été aussi belle dans l’interprétation des morceaux phares du Brian Jonestown Massacre. Ses chœurs aigus et frétillants nous ravissent, tout comme la mélodie intemporelle de Hold That Thought. On retiendra également l’interprétation paisible de Anemone dans une version en français par la claviériste du groupe. L’arrivée matinale à St-Malo aura finalement raison de nos dernières forces déjà offertes sans ménagement à Shame et aux Black Angels. On passera à regret notre tour sur le dernier concert de Föllakzoid débutant à 2h45.

On retiendra de cette journée l’excellente prestation de Grizzly Bear, qui a survolé les esprits de sa grâce ravissante. Grosse mention également à Shame et aux Black Angels qui ont su nous faire frétiller et pas que des doigts de pieds.
La Route du Rock est lancée, vive La Route du Rock.